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« Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église »

Cette phrase tirée de la Bible (il faut bien faire plaisir à nos nombreux « hommes et femmes de Dieu »), tout parent pourrait la répéter à son enfant, sur qui repose ses espérance d’un avenir radieux. Tu es mon fils ou ma fille (il faut bien faire plaisir aux « défenseurs du genre ») et avec toi, je bâtirai des châteaux (ou des palais…). Les jeunes… Les jeunes sur qui les parents fondent de nombreux projets. Et pourtant… (Ah oui, c’eut été trop beau sans ce couac !).

Etre jeune aujourd’hui (et même de mon temps) n’est pas si facile. Et être jeune en Afrique, tout particulièrement dans notre chère République démocratiquement Démocratique du Congo, est une étape difficile.

Je pense qu’essayer d’en parler en quelques lignes contribuera à attirer encore et toujours notre attention sur cette catégorie vulnérable et désorientée de la population… et à nous pousser à agir, plutôt qu’à discourir (comme je le fais maintenant d’ailleurs).

Tout humain (sain d’esprit et de corps) aspire, à un moment de sa vie, à voler de ses propres ailes, à chercher son indépendance, à ne rien devoir à quiconque, à quitter le domicile des parents où l’on a passé un temps un peu trop long, semble-t-il, pour bâtir un « chez soi », c’est-à-dire un nid douillet façonné de sa propre sueur. Mais voilà, pour y parvenir, les lois établies dans une société normale exigent un certain échelon à suivre : étudier et se trouver un emploi. Bien sûr, les fils (et les filles… genre oblige !) à papa, les petits princes, les marquis, les comtes (si si ça existe même chez nous), les fils de buana et que sais-je encore, eux se verront tracer leur avenir d’un bic en or et sur du papier en argent, sur une ligne bien droite. Les études, ils le font plus par formalité que par devoir. Un emploi leur est acquis dès leur plus tendre enfance… Je ne fais donc pas référence à ces privilégiés.

Mais, heureusement ou malheureusement, tous ne sont pas des fils des barons de la République, sinon, ce serait le paradis, non ? Imaginez un peu : « Ouais, j’obtiens un diplôme dans une spécialité quelconque (mais vraiment quelconque), pour faire plaisir à papa (et à maman) et je deviens son associé. Ma maison, une superbe villa, là au sommet de la colline (y a pas de Côte d’Azur au Congo). Je roule carrosse, fume cigare et mange caviar. La vie ne saurait être plus belle ! ».

Nous avons tous été un peu tentés par ce genre de vie… ne serait-ce qu’en rêve. Mais voilà, comme nous (je ne parle pas de moi, c’est juste pour la forme), nous sommes de simples jeunes parmi des gens ordinaires. Nous ne sommes nullement appelés à hériter d’une quelconque fortune (on a beau chercher dans l’album de famille, pas l’ombre d’un oncle multimillionnaire), nous avons beau jouer au loto, la chance n’a jamais été de notre côté. Donc, étant ce que nous sommes, nous devons absolument nous battre. Oui, mais avec quels moyens ?

Les études ne sont plus ce qu’elles étaient du temps de nos pères (Ah, la belle époque, s’extasieront les uns). Aujourd’hui, trouver un emploi est comme chercher une aiguille dans une botte de foin.

Voyons, tu es un jeune diplômé en quête d’emploi. Tu te promènes dans les rues de Kinshasa (ou d’ailleurs au pays), avec ton diplôme dans les mains… Ce bout de papier obtenu au prix de maints sacrifices des parents, de tous ceux qui t’ont aidé (et ils sont nombreux ceux-là). Tu as dû supporter les sarcasmes de tes professeurs, tu as dû prendre des bus bondés de gens où tu suffoquais presque, pour y arriver enfin !

Après cinq ans d’études universitaires (quand il n’y a pas de grève entretemps), le constat a un goût amer : la porte du chômage t’est grandement ouverte. Tu as envie de le déchirer, ce bout de papier, acquis à force de privations. Tu as, à ton actif, au moins une centaine de demandes d’emploi, passé et repassé des tests d’embauche et des interviews, mais ton nom n’est pas connu et ton père est un pauvre paysan qui ne peut se servir de ses relations, pour t’ouvrir des portes.

Ah, tu te rappelles ce beau jour où tu appris que tu avais réussi aux examens et que tu étais enfin un Ingénieur. Tous les amis étaient là, les parents étaient gonflés d’orgueil pour toi et tu étais content. Tu te rappelles ce jour et remets ce diplôme d’université dans les tiroirs. Un beau souvenir, tout de même… Et toi, au moins, tu as eu la chance de l’obtenir, ce diplôme !

Alors, tu cherches autre chose : vendre des cacahuètes ou des cartes de téléphone. Le commerce ? Trop peu pour toi. De plus, c’est bien risqué dans un pays comme le nôtre.

Ensuite, tu apprends qu’un de tes amis qui, lui, n’a pas fait d’université, roule carrosse, possède une magnifique villa, là-haut au sommet de la colline, fume cigare et mange caviar. Tu vas le voir, il te dévoile son secret, c’est vers l’Angola qu’il faut chercher fortune… L’Angola qui a toujours été l’Eldorado des Zaïrois-Congolais. Déjà du temps de feu Jonas Savimbi, c’est à Lunda Norte que les jeunes se précipitaient ! La ruée vers le diamant ? Tu ne sais plus quoi faire… Si tu dois prendre la route comme tous ces jeunes, nombreux qu’ils sont à tenter leur chance de ce côté-là.

Evidemment, tous ne reviennent pas les poches remplies de carats ni de billets verts, les dollars USD qui pullulent dans ce coin, dit-on. D’autres en rentrent même plus démunis qu’avant et les conditions de survie y sont extrêmement pénibles… quand ce n’est pas le rapatriement brutal qui les y attend.

Dans les pays occidentaux, les jeunes connaissent des problèmes similaires aux tiens, le chômage leur est tout autant garanti, après de brillantes étude. La crise est internationale, tu le vois bien aux infos, mais ils ont plus de chances que toi de s’en sortir. Et tu regardes toujours la vie de ces jeunes avec une certaine envie. Ils ont des gouvernements qui semblent chercher des solutions. Aussi l’autre option est-il de prendre l’avion pour Mikili (quitte à vendre la maison du fameux oncle), même si tu pressens que tu y côtoieras de plein fouet le racisme, le rejet, l’isolement. Est-ce l’ultime solution, fuir à tout prix ce pays qui a tant besoin de tes bras vigoureux et de ton savoir, mais qui, pourtant, tue en toi tout espoir ?

Mais tu sais bien que « qui ne risque rien n’a rien ». Alors, malgré les propos rassurants des uns, tu t’embarques. C’est vrai, ceux-là ne mesurent pas la profondeur de ta détresse. Ce sont tes rêves d’université qui s’étiolent et qui se brisent, tu en as marre d’être une « charge » pour les autres, tu ne trouves rien. Toi qui voulais devenir un brillant ingénieur.

C’est la situation du pays, te claironnent les autres. Mais les années passent et tu veux devenir « quelqu’un », avoir ta place dans ce pays. Tu veux réussir ta vie, par-dessus tout.

Que voit-on autour de nous, à la télé ? Les aînés qui détournent allègrement les deniers publics et qui ne recherchent que l’assouvissement de leurs désirs. Et à cette même jeunesse, ils apprennent le partage, la pratique de la vertu, à imiter Jésus qui, Lui, ne se plaignait jamais de sa condition d’homme, mais qui pour tout, priait. Jésus, Jésus… Parler du Christ est devenu un fonds de commerce et un moyen de maîtriser les jeunes dans cette inertie et contenir, ainsi, leur hargne. Et ça marche ! Ils sont nombreux, ces jeunes, qui se promènent à longueur de journée avec de grosses Bibles en mains et des versets plein la tête. « Oh, voyez comme ils sont nombreux. On n’a jamais vu autant de jeunes s’adonner avec ferveur à la prière. C’est une prophétie qui se réalise ! ».

Oh, il y a bien quelques « efforts » qui sont entrepris. Ça et là, des séminaires et ateliers sont organisés sur le thème de la jeunesse et l’emploi. Mais pour toi, ces rencontrent se résument toujours en discours. Tu attends des actes qui ne viennent pas. Tu attendras encore.

Avec cette peur au ventre de décevoir les siens, le jeune essaie tant bien que mal de trouver une fissure dans ce système qui l’oppresse et qui l’étouffe, sans repère aucun. Il cherche un peu partout : musique, évangélisation, commerce, griot pour les politiques… tant que ce n’est pas pour finir en vaurien, kuluna, drogué ou brigand. Certains commencent très tôt cette recherche, des enfants qui, au moment où ceux de leur âge sont à l’école, sillonnent les grands artères, vendant des légumes, de l’eau ou autres articles pour contribuer au repas du soir à la maison. Ceux-là ne savent plus ce qu’est l’école. Leur droit à la scolarisation est bafoué et méconnu et par eux et par leurs parents.

« Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église ». C’est avec cette jeunesse que le Congo démocratique devra composer, pour se reconstruire.

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