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D’aucuns estime que le potentiel fiscal de la République Démocratique du Congo (RDC) s’élève à 20 milliards USD l’an (l’équivalent de 18 400 milliards de CDF). Le niveau pourrait être bien plus élevé si l’on prend en compte l’importance du circuit informel qui échappe à tout contrôle. Mais la capacité de mobilisation de l’État reste très faible. Les projections pour 2015 indiquent un budget d’un peu plus de 7 milliards USD en recettes intérieures (l’équivalent de 6 440 milliards de CDF). Au regard de l’écart entre recettes potentielles et recettes effectives, il y a lieu de se poser plusieurs questions sur la pertinence des reformes en cours et de la nécessité de les approfondir.

Recettes publiques: 2001 - 2012La reprise de l’économie congolaise depuis 2002, a entraîné une hausse moyenne de près de 48.9 % des recettes publiques entre 2001 et 2012. En 11 – 12 ans, les recettes publiques sont passées de 64.4 milliards à plus ou moins 4000 milliards de CDF, soit une multiplication par 60. Cette performance procède du retour et de la consolidation de la croissance économique ainsi que des réformes réalisées dans le secteur des finances publiques.

Pour le budget 2015, il est prévu une enveloppe budgétaire de 8363.2 milliards de CDF (8.93 milliards USD), soit une hausse de 1.1 % par rapport au budget de 2014. Les recettes intérieures représenteront 79 % du budget 2015 et les appuis extérieurs les 21 % restants. La Primature fait état d’un accroissement de 7.4 % par rapport aux assignations de 2014. Structurellement, elles seront dominées par les recettes douanières suivies des impôts, comme l’indique le graphique ci-après.

Si le Gouvernement congolais parle d’un accroissement progressif des recettes intérieures, l’analyse livrée par la Banque mondiale dans son dernier rapport sur la situation économico-financière de la RDC semble plutôt pencher sur un recul. « Les recettes intérieures de l’État ont reculé de 1.9 % du PIB en raison d’une mobilisation insuffisante des recettes de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) introduite en 2012 et celles des secteurs des ressources naturelles ». En 2013, la TVA a représenté 27 % des recettes domestiques, contre 30 % en 2012. Pour le Fonds Monétaire International (FMI), plusieurs paramètres ont contribué à cette Structure des recettes intérieures dans le budget 2015 (en %)contreperformance, notamment la persistance des longues procédures et une mauvaise maitrise du portefeuille qui affecte le recouvrement. Comme le reconnait clairement le Gouvernement, le répertoire général des contribuables tenu par la Direction Générale des Impôts (DGI), pour l’ensemble de la République et tous impôts confondus (situation à mai 2013), ne contient que plus ou moins 28000 personnes sur une population de près de 70 millions d’habitants. Cela ne prend pas en compte les salariés non répertoriés individuellement et les importateurs occasionnels non saisis par les services de la douane.

Raisons de l’étroitesse de l’espace budgétaire de la RDC

Plusieurs facteurs limitent l’espace budgétaire de la RDC, notamment la sous-évaluation des recettes (mauvaise prévision), les faiblesses organisationnelles des régies financières [Direction Générale des Douanes et Accises (DGDA), DGI et Direction Générale des Recettes Administratives et Domaniales (DGRAD)] aussi bien au niveau central que provincial, les faiblesses de la législation fiscale (code minier, code forestier, code des hydrocarbures, …), la fraude, l’évasion fiscale et les détournements.

Sous-estimation des recettes publiques

Les prévisions de recettes budgétaires sont en règle générale sous-estimées en RDC. Les actes générateurs identifiés par le Gouvernement dans le cadre de la préparation du budget correspondent à ± 65 % des actes reconnus par la Loi. Parmi les actes non-répertoriés, il y a des actes qui pourraient rapporter davantage de ressources au Trésor Public. Il sied également de relever que, pour certains postes de recettes, les méthodes d’analyse ou de projection sont un peu défaillantes et pour d’autres, les projections sont délibérément biaisées.

Un autre facteur explicatif de la sous-estimation des recettes publiques en RDC est la base fiscale qui n’est pas assez large. Ceci tient à la prépondérance de l’informel dans l’activité économique. Le secteur agricole et forestier enregistre un taux d’informalité de près de 96 %, selon une étude réalisée par la Banque mondiale et l’Institut National de la statistique (INS). Plusieurs opérateurs de l’informel trouvent ainsi le moyen de se soustraire des impôts, taxes et autres redevances à payer à l’Etat. Même les secteurs qui tirent la croissance, en l’occurrence les mines et le pétrole, n’échappent pas à la règle, en dépit déjà des exonérations. L’État devrait renforcer sa capacité à capter toutes les ressources qui lui échappent par une meilleure préparation budgétaire et la fiscalisation de l’économie informelle.

Inefficience dans la collecte des recettes

Autant que le Gouvernement accorde des crédits budgétaires importants aux efforts de stabilisation macroéconomique, il devrait le faire pour la maximisation des recettes. Il y a ainsi nécessité d’approfondir les reformes des régies financières et d’améliorer la rémunération des agents commis à la collecte des fonds publics. La fraude fiscale, l’évasion fiscale et les détournements des deniers publics qui ont élu domicile dans le pays sont connus de tous mais des sanctions sévères ne sont pas prises pour y mettre fin. Le système fiscal déclaratif de la RDC contraint l’État à se référer aux chiffres transmis par les opérateurs. « Les données devant servir au calcul des droits sont tributaires du bon vouloir des opérateurs économiques », fait remarquer Augustin Matata. Et le cas le plus illustratif est la production du pétrole. En effet, la RDC est restée à 25000 barils/jour depuis plus de 3 décennies. Un autre facteur contribuant à l’inefficience dans la collecte de recettes publiques concerne les défaillances des agents et cadres des services mobilisateurs des recettes ou des lacunes managériales. « Une fraction non négligeable des recettes publiques n’entrent pas dans les caisses de l’État et sont détournées. Par exemple, les recettes provenant de l’exportation du bois et des minerais », insiste Matata Ponyo.

Sous-fiscalisation de l’économie

En règle générale, les pays à faible revenu ont une faible pression fiscale [estimée à 15 – 20 %] à cause des performances de leurs économies et de l’inefficacité de leurs régies financières ainsi que de la non-prise en Pression fiscale: 2001 - 2012charge de certains secteurs par le système fiscal. En RDC, on assiste depuis 2002, à une hausse mais instable de la pression fiscale qui est passée de 7.5 % en 2002 à 20.9 en 2012. Cet état de choses tient à la reprise et à la consolidation de la croissance ainsi qu’aux réformes opérées dans les régies financières et administrations fiscales. De 2002 à 2012, les recettes ont été multipliées par 38.9  pour la DGRAD, 30.7  pour la DGI  et 24.9  pour la DGDA.

En moyenne, les contributions au budget de l’Etat ont été de 36.9 % pour la DGDA, 33 % pour la DGI et 11.9 % pour la DGRAD. Toutefois, les réalisations sont inférieures aux prévisions budgétaires et au potentiel réalisable (estimé à 30 % du PIB). Comparé aux taux de prélèvement enregistré dans le pays, l’effort fiscal potentiel est Part des mines et hydrocarbures dans le budget (en %)négatif. En 2012, les recettes fiscales étaient de 3612.7 milliards de CDF, soit 3.8 milliards USD [20.9 % du PIB]. Le potentiel fiscal étant de 30 %, la RDC aurait dû mobiliser ± 5.5 milliards USD comme recettes fiscales. Il en a résulté un manque à gagner de ± 1.7 milliard.

Comme l’indique le graphique ci-contre, les industries extractives qui constituent le principal levier de la croissance de l’économie depuis 2002, contribuent faiblement aux recettes fiscales du pays (moins de 15 %). Le code minier ne permet pas au Trésor de mobiliser les recettes que devrait gagner le pays sur l’exploitation des ressources minières. Il en est de même pour les hydrocarbures.

Plus de contribuables au budget de l’État

Le gouvernement a initié un certain nombre de réformes des finances publiques. La TVA, l’une des réformes phares, a permis d’augmenter les recettes de l’État, et il faut aujourd’hui la rendre encore plus efficace car « elle n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière », martèle Matata Ponyo. L’autre grand défi est d’arriver à élargir l’assiette fiscale. Il y va de la survie même des entreprises évoluant dans le circuit formel actuellement asphyxiées. À cet effet, Grégoire Bakandeja appelle à une meilleure répartition de la charge fiscale (impôts directs et indirects, impôts relevant du gouvernement central et des gouvernements provinciaux). La suppression des taxes illégales mérite également d’être saluée. Dans le secteur fluvial et lacustre, le gouvernement a supprimé 38 taxes sur une cinquantaine de perceptions illégales répertoriées. Une étude d’impact réalisée sur cette réforme de juin 2014 par le Comité de pilotage de l’amélioration du climat des affaires et des investissements (CPCAI) a abouti au constat de la non-exécution de la mesure sur le terrain. Enfin, il est important de mener à son terme la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales.

Un budget de 48 milliards USD en 2016!

La maximisation des recettes intérieures est l’un des chantiers importants à mener à son terme pour arriver à l’émergence économique de la RDC d’ici à 2030. Le Gouvernement avance la projection ambitieuse de 48 milliards USD pour la période allant de 2012 à 2016. Rien n’est impossible. Pour s’en convaincre, le répertoire de l’impôt foncier tenu par la Direction générale des recettes de Kinshasa (DGRK) renseigne l’existence de seulement 25 000 concessions foncières alors que les services du cadastre parlent de plus de 150 000 propriétés. L’on pourrait élargir les exemples de manque-à-gagner pour l’État, notamment l’application déficitaire de l’impôt sur les revenus locatifs et l’impôt sur les véhicules. À en croire le répertoire de la ville, 64 000 véhicules rouleraient à Kinshasa alors que les statistiques recueillies auprès des sources policières s’approchent du million. Et l’on peut multiplier les cas à l’infini : 87 % des recettes douanières sont réalisées par 3 provinces (Kinshasa, Katanga et Bas-Congo) ; la Direction générale des grandes entreprises mobilise à elle-seule plus de 80 % des recettes de la DGI avec 300 agents alors que les centres d’impôt synthétiques constitués de 4500 agents produisent moins de 3 % ; 56 % des douaniers se trouvent en poste à Kinshasa alors que le pays a des frontières avec neuf pays.

En définitive, le défi à relever reste à la portée de la RDC. Il faut espérer plus de recettes avec les réformes en cours qui touchent les assurances, les hydrocarbures, les mines, l’énergie et les partenariats public privé. Beaucoup d’entreprises minières qui terminent leur phase d’exploration, vont entrer en production. Il faut attendre 2016 et 2017 pour voir les grands projets miniers, dont Tenke Fungurume, entrés effectivement en phase de paiement de l’impôt sur le bénéfice. Le renforcement de l’administration publique avec l’informatisation des services mobilisateurs des recettes demeure une priorité. Au-delà, il existe un plan de renforcement de la Cour des comptes qui vient d’être dotée d’ailleurs d’un nouveau bâtiment réhabilité avec l’appui de l’Union européenne. Voilà autant de priorités pour les prochaines années.

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