Exposition de Jems Koko Bi
Vues d’exposition de Jems Koko Bi à la galerie Cécile Fakhoury d’Abidjan, crédit photo : Issam Zeljy
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Le marché de l’art sur le continent africain ne semble pas connaître la crise. En dépit d’un ralentissement lié à la pandémie de Covid-19, les ventes sont au beau fixe et les chiffres d’affaires prospèrent.

Depuis plus d’un an, le marché de l’art a connu, sur le continent africain, un ralentissement certain. La fermeture des galeries, l’annulation des biennales d’art contemporain et des foires telles que celles de Marrakech au Maroc (1’54 Art Contemporary Art Fair), de Lagos au Nigéria (Art X Lagos) ou de Cape Town (Cape Town Art Fair) en Afrique du Sud, n’ont guère facilité la rencontre des collectionneurs et des artistes. Paradoxalement, cette situation a pu constituer une aubaine financière, compte-tenu du coût exorbitant que représente par exemple la participation à une foire internationale que le fondateur de la galerie on line African Arty, Jacques-Antoine Gannat, estime jusqu’à 10 000 euros. « L’arrivée du Covid-19 nous a confortés dans notre modèle de développement », explique de son côté la galeriste Cécile Fakhoury, dirigeant 3 espaces dédiés à l’art africain, à Dakar, Abidjan et un showroom à Paris. « L’équilibre de nos galeries ne peut plus reposer entièrement sur les foires », ajoute celle qui souhaite recentrer ses activités sur le public local et accompagner au plus près les artistes qu’elle représente.

Une digitalisation à marche forcée

La crise sanitaire a d’autre part accéléré un tournant digital que beaucoup avaient déjà amorcé. Digitalisation des catalogues, alimentation des différents réseaux sociaux, dont l’application Instagram qui se taille la part du lion. « Dans les périodes où je communique beaucoup, explique Jacques-Antoine Gannat, je multiplie de façon exponentielle les taux de fréquentation. Mais dès que l’on s’arrête, on perd ce boom. Il faut toujours alimenter le monstre ! » Plus circonspecte, Cécile Fakhoury ne pense pas « que le digital puisse remplacer une expo ». Certes, ces outils « offrent une plus grande visibilité, mais les collectionneurs ont aussi besoin de voir les pièces qu’ils achètent. » La co-fondatrice et directrice de la LouiSimone Guirandou Gallery d’Abidjan, Gazelle Guirandou penche aussi en ce sens : « Le marché de l’art en digital a ses avantages, explique-t-elle, mais on ne peut se passer du présentiel. On a besoin de sentir les œuvres, de les voir. »  Les résultats sont là : des galeries aux maisons de vente, tous ont vu leur chiffre d’affaires plus ou moins augmenter depuis un an. « On résiste plutôt bien, confirme Cécile Fakhoury. Commercialement, on vend même plutôt bien. » Même son de cloche chez la filière marocaine de la maison de ventes Artcurial, installée à Marrakech depuis le mois de décembre 2020. « Notre bilan est très positif, commente le directeur de la filière Artcurial au Maroc, Olivier Berman. Je pense qu’on a, sans prétention, comblé un manque sur le marché local, grâce à des procédures plus transparentes qui sont les mêmes qu’à Paris. Une confiance s’est installée entre la clientèle marocaine et nous. » Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2019, la vente inaugurale organisée par Artcurial a atteint 3,8 millions d’euros. Celle de décembre 2021 : 2,7 millions et la dernière en date, 1,8 millions d’euros.

Une nouvelle génération de collectionneurs

De son côté, le profil des collectionneurs a tendance à rajeunir et, parfois à se diversifier. « La clientèle se rajeunit de plus en plus, constate Olivier Berman. C’est une clientèle curieuse dont la moyenne d’âge se situe entre 35 et 50 ans. » Une clientèle plutôt bourgeoise, aisée, qui certes est souvent consciente d’effectuer un investissement, mais qui reste passionnée d’art, notamment de l’art contemporain africain qui a le vent en poupe. « Notre clientèle s’est élargie géographiquement depuis un an », observe Jacques-Antoine Gannat, en évoquant le cas de collectionneurs sud-coréens ou danois. « Beaucoup de jeunes de la diaspora, qui ont un lien culturel et affectif avec le continent, qu’ils soient anglophones ou francophones, ajoute Cécile Fakhoury, arrivent à nous via les plateformes digitales. » Un nouveau public qui n’hésite pas à miser sur des artistes émergents tels que le photographe Alun Be ou la street artiste Yseult Digan, plus connue sous son blaze YZ. « Contrairement à ce que l’on pourrait croire, précise Gazelle Guirandou, la photographie se vend d’ailleurs plutôt bien. »

 Un avenir sans nuages ?

Comme tous les marchés, celui de l’art est aussi hautement spéculatif. Sans doute l’art moderne et contemporain a-t-il constitué, depuis le début de la crise sanitaire une valeur refuge. Mais beaucoup d’acteurs sont conscients qu’il s’agira aussi désormais de réinventer un modèle qui a fait ses preuves, en se recentrant davantage sur les artistes et un public local, en encourageant un modèle économique plus durable. « L’art sera le grand gagnant de cette funeste histoire, prédit de son côté le fondateur de la galerie Shart à Casablanca, Hassan Sefrioui. Il prendra une place encore plus importante dans la vie intellectuelle des gens. » Au détriment peut-être des collectionneurs, à voir ?

Par : Olivier Rachet.

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