La première fois qu’ELLE avait écouté cette chanson, ce devait être dans les années 90, c’était une reprise de George Michael.
George Michael, MTV, ces années-là… C’était si loin…
ELLE avait adoré cette reprise (mais à l’époque, ELLE ne savait pas qu’il ne s’agissait là que de l’une des nombreuses reprises du tube) … Il faudrait songer à (re)écouter cette version qui lui semble toujours être l’une des meilleures reprises. Peut-être aussi la version par The Temptations…
Ceci n’est pas un essai sur la musique des années 60-70.
Dans sa tête de bonne francophone, cette chanson avait toujours été liée au groupe de rock britannique, les Rolling Stones. Rassurez-vous, ELLE n’a jamais été fan de rock (sorry pour les fans !). ELLE s’était imaginé que George (me permettez-vous de l’appeler George ?) faisait référence, dans sa chanson, à un père membre ou fan du groupe Rolling Stones… Cherchez-y la logique !
Mais un jour, Eureka ! Bien des années d’anglais plus tard, Internet, www.Google et Wikipedia aidant, les ténèbres se dissipèrent et ELLE découvrit l’histoire derrière cette chanson. Il était temps.
Quand tu apprends qu’il s’agit en fait d’une chanson soul psychédélique–funk–Motown, composée par Barrett Strong, écrite par Norman Whitfield, et enregistrée par le groupe The Undisputed Truth pour leur album Law of the Land de 1972 (merci Wikipedia !)… et que Georges Michael n’a fait que la reprendre, comme de nombreux artistes, du reste.
Ce fut le choc en découvrant les paroles de cette chanson… Ce choc qui vous fait réaliser que vous étiez vraiment nul en anglais, ce choc qui vous fait sourire parce que vous réalisez que vous avez été finalement d’un ridicule et d’une ignorance impardonnables durant toutes ces années. J’en profite pour vous conseiller de revisiter vos chansons d’enfance (surtout celles en anglais) et d’aller fouiller un peu du côté de www.Google… Vous en ferez des (re)découvertes !
Bref, ce choc qui vous fait prendre conscience, un peu brusquement, que ce chant vous rappelle… vous…
Son père, ELLE ne l’avait jamais connu… tout comme des millions d’âmes sur terre, dans son cas. Ainsi va la vie ! Car, son père n’avait rien trouvé de mieux que de tirer sa révérence, alors qu’ELLE n’avait qu’’une année… C’est vous dire ! ELLE ne le connaissait tout simplement pas. Il n’est pas mort en septembre, comme dans la chanson… Quand exactement ? ELLE ne le sait pas et ne le saura jamais. ELLE avait un an à son décès et ne se rappelait pas qu’il ait même existé un jour.
Durant des années, ELLE n’avait pas éprouvé le besoin d’en parler, parce qu’ELLE avait d’autres « préoccupations existentielles » dans un monde où ELLE grandit chez tonton, chez tantine, puis chez un autre tonton et chez une autre tantine, et de nouveau chez tonton, puis chez tantine… Une authentique SDF, en somme.
ELLE ne connaissait tout simplement pas son père. Ça, vous l’avez compris. Tout ce qu’elle avait pu connaitre de lui (par des bribes de conversations entendues et volées çà et là), lorsqu’ELLE était enfant, c’était qu’il était un homme bon, colérique aussi, aimant ses frères et sœurs, presque parfait… Mais, chez nous en Afrique, dit-on du mal ou tout simplement la vérité de ceux qui ne sont plus ? A part du mal de nos dictateurs de présidents ?
A un moment, ils ne mentionnèrent plus son nom en sa présence, parce que la « légende familiale » voulut qu’ELLE fût à la limite hystérique, colérique comme lui (tiens !), lorsqu’ELLE entendait parler de son père… Ils pensaient bien faire, cherchant plus que tout à l’épargner. Mais, n’auraient-ils pu comprendre qu’il était important pour ELLE de savoir ? ELLE dépendait de tout ce que ses tantes et oncles voulaient bien raconter, pour savoir. L’ignorance tue, est-il dit.
Aujourd’hui, ELLE n’avait rien de son père… hormis une vielle photo (en noir et blanc, s’il vous plait) où il posait aux cotés de sa mère et de sa sœur, photo qui ne la quittait jamais et qui trônait dans un coin de son salon.
Aujourd’hui, ELLE n’avait rien de son père…
Pour (re)trouver ce père, pour se convaincre son existence, il lui fallait parfois retourner profondément en ELLE, car ELLE était faite de sa chair, de son sang, de sa vie… ou le chercher dans ses tantes et oncles, trouver le trait commun entre eux et essayer de le « constituer », car ils étaient faits de la même chair, du même sang que lui.
Parlez-moi de mon père.
Un jour, enfin ! Bien des années de maturité et de courage plus tard, ELLE osa demander à l’une de ses tantes de quoi mourut son père, fauché si jeune.
Tué. Pas assassiné, non, mais tué par un grand-oncle jaloux, par des voies mystiques. Ou empoisonné. Toujours par ce grand-oncle jaloux… Bref, ELLE ne sut jamais et ne le saura jamais.
Et de réaliser que lorsqu’ELLE se décida à demander, il fut trop tard. Il s’en était passé des années et les souvenirs s’estompèrent du coté de ses tantes et oncles, si bien que les rares propos sur lui semblaient plus relever de la fantaisie que de la réalité.
Pourquoi avoir attendu des décennies pour oser demander ? Il était trop tard maintenant. Maintenant que les souvenirs se dissipaient terriblement vite avec l’âge…
Une fois, une seule fois de toute son existence, une tante maternelle lui parla de son père, sans qu’ELLE n’eût besoin de le demander : il avait mené une belle vie, avait eu une première femme avec qui il n’avait pu concevoir, avant de rencontrer sa mère, un premier enfant serait né mais mort quelques mois plus tard… Il aurait été l’homme le plus heureux, à sa naissance et avait adoré sa fille… Pourtant, oui, cet amour était resté gravé dans son ADN, ELLE l’avait ressenti toute sa vie. ELLE sut qu’ELLE avait été un enfant de quelques mois aimé excessivement, car ELLE avait gardé les séquelles d’enfant unique, bien des années plus tard et malgré le fait que sa mère, qui se remaria, eut d’autres enfants avec un autre…
Sa mère… Un autre sujet.
Sa tante maternelle disait donc qu’une nuit, son père aurait vomi et se serait écroulé, pour ne plus jamais se relever… Avait-il été malade ? De quoi avait-il souffert ? Était-ce la vérité ? Ou encore une histoire de plus ? Ces rares confidences inattendues lui permirent, pourtant, d’apporter quelques pièces de plus au puzzle de sa vie et de réduire, même de manière infime, les trop nombreuses interrogations qui resteront sans réponse claire et précise. Tout était bon à prendre. Ensuite, il lui fallait faire le tri.
Enfant, ELLE avait lu un album de la bande dessinée Yoko Tsuno où il était question d’un voyage dans le temps où la jeune japonaise fit la rencontre de son père plus jeune… ELLE pensait souvent à cette histoire. C’était là son rêve secret. Le voyage dans le temps. Un simple rêve…
En découvrant les paroles de cette chanson de Barrett Strong, ELLE prit conscience qu’ELLE n’était pas la seule personne au monde à ne pas avoir connu son père. ELLE savait bien qu’il y avait des millions d’êtres humains dans son cas, qui ne connaissaient ni père ni mère. Ce n’était, évidemment, pas cette chanson qui le lui avait fait réaliser… Tout comme ELLE, des personnes dépendaient d’autres pour en apprendre un peu plus sur le parent disparu. Mais surtout, cette chanson lui fit comprendre qu’ELLE avait été nulle en anglais !
Et comment gérer ce vide ? Il n’y a pas de réponse toute faite. Chacun(e) gère comme il/elle peut. On a beau se dire que c’est injuste, mais c’est la vie. C’est comme ça. Il ne sert absolument à rien de s’apitoyer sur son sort. Il ne sert à rien de verser des larmes (gardez-les pour les peines de cœur, vous en aurez besoin). Lorsque vous traversez des moments sombres, vous aurez beau crier à ce parent absent, de toutes vos forces, vous aurez beau le supplier, avec toutes les larmes de votre corps… Ça ne le ramènera pas à la vie (en revanche, les larmes ne se seront pas taries, pour autant). La faute à pas de chance ! C’est comme ça. Il faut vivre avec cette absence. Et essayer de sourire chaque jour à la vie…
Non, son père n’était pas mort en septembre, comme dans la chanson. ELLE ne se souviendra jamais du moment de sa mort. Ne lui parlez pas de certificat de décès… Il n’y en a pas/plus.
Non, son père n’était pas un vagabond, comme dans la chanson. Il avait travaillé toute sa courte vie et avait eu un habitat stable.
Non, son père n’avait pas abandonné les siens, comme dans la chanson. Il avait aimé femme et enfant. Jusqu’à la fin.
Non, son père n’avait pas eu d’autres enfants, comme dans la chanson. ELLE avait été son unique enfant.
Oui, ELLE dépendait du bon vouloir des autres pour qu’on veuille bien lui parler de son père. Comme dans la chanson.
Non, son père n’avait pas été un Rolling Stone, comme dans la chanson…
Maggy Bizwaza
Auteure des romans :
- L’Ombre des Okapis, paru en octobre 2011, chez EDILIVRE : https://www.edilivre.com/ombre-okapis-bizwaza-kibansa-maggy.html/
- Requiem pour Andali, paru en janvier 2019, chez EDILIVRE : https://www.edilivre.com/requiem-pour-andali-2a24fcc49c.html/
Magnifique…