Au début des années 1990, le vent de la perestroïka venu d’Europe atteint le continent africain. Pour se mettre au goût du jour et embrasser la démocratie à bras-le-corps, une série de conférences nationales souveraines est organisée dans bon nombre de pays africains, le Bénin en tête. Ce dernier réussira brillamment cette expérience, et sera imité par d’autres, avec des issues moins glorieuses.
Ce début d’expérience de la démocratie donnera naissance à l’organisation des cycles d’élections, grâce à des institutions d’appui à la démocratie, en vue d’aboutir à des résultats incontestables. Au départ dénommées « Commission Électorale Indépendante » (CEI), ces institutions organiseront les premières élections « démocratiques » dans quelques pays, mais au fil des expériences, l’appellation évoluera rapidement pour devenir presque partout, Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI).
Alors que dans d’autres pays du monde les élections sont organisées par les ministères de l’Intérieur, car ayant l’administration du territoire dans leurs attributions, en Afrique, de lourdes présomptions de fraude ont conduit à confier cette tâche combien délicate aux CENI.
Cependant, deux décennies plus tard, au regard des troubles et conflits postélectoraux qui surviennent, les CENI ne font plus l’unanimité, et force est de se demander si ces institutions ne sont pas tout simplement périmées ou inadaptées. Les exemples de crises postélectorales sont légion, en République Démocratique du Congo (RDC), au Zimbabwe, au Kenya, en Côte d’Ivoire, au Congo-Brazzaville et encore plus récemment en République centrafricaine.
En RDC, la Commission électorale nationale indépendante – CENI – n’a jamais pu organiser un scrutin complet, en trois exercices (2006, 2011 et 2018). Engluée dans des conflits politiques et organisationnels, la CENI RDC est à chaque cycle électoral au centre de vives tensions dans le pays.
Ainsi, en décembre 2006, il fallut un char de combat de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation en République Démocratique du Congo « MONUSCO » (alors MONUC) pour exfiltrer le Président de la centrale électorale congolaise, feu l’abbé Apollinaire Malu Malu, pour l’acheminer sous escorte armée, jusqu’à la Chaîne de radio-télévision nationale, pour donner lecture des résultats des élections présidentielles.
Quelques mois plus tard, en mars 2007, un des candidats malheureux à la présidentielle de décembre, le nommé Jean-Pierre Bemba Gombo, réduisait la capitale Kinshasa, en un vaste champ de bataille, où ses hommes, habillés de gris-gris et armés de mitraillettes, tiraient sur tout ce qui bouge, avant de se diluer dans la nature, après que leur leader a pris le chemin d’exil portugais.
En 2011, c’était au tour du sieur Ngoy Mulunda, un autre « homme de Dieu », d’être aux manettes de la CENI. Toujours sous très haute protection policière, il proclama des résultats qui faillirent mettre la ville, voire le pays, à feu et à sang.
D’abord, un Prélat d’alors, feu le Cardinal Etsou Bamungwabi, déclara sur son lit de malade depuis la lointaine Bruxelles, que ces résultats n’étaient pas conformes à la vérité sortie des urnes. Personne n’eut le temps de lui exiger plus d’explications, puisqu’il rendit l’âme au Seigneur quelques jours plus tard, emportant avec lui ses propres conclusions.
Mais n’empêche. A Kinshasa, le candidat malheureux le mieux placé aux élections, feu Etienne Tshisekedi wa Mulumba, l’avait pris au mot, et s’empressa de prêter serment sous les arbres de la 10ème Rue, en tant que Président élu, face à un Président dit « illégitime », mais qui lui, paradait tranquillement sous les ors et tapis rouge du Palais de la Nation.
Et que dire des élections de 2018, placées elles sous le leadership d’un certain Corneille Nangaa? Pratiquement la même chose. Sauf que cette fois-ci, personne ne vit la couleur d’un seul PV de bureau de vote, tout s’étant déroulé, disait-on, de manière automatique, grâce à une nouvelle invention, la machine à voter. Une invention typiquement congolaise, qui, aux dires de certains esprits chagrins, s’occupait de tout : du choix de l’électeur, du vainqueur du scrutin et du nombre des voix qui devaient accompagner sa victoire.
Au final de l’exercice, le Congo-Kinshasa s’est retrouvé, grâce à ce nouveau tour de passe-passe, avec un nouveau Président de la République, heureux détenteur d’un transfert « pacifique et civilisé » du pouvoir, au côté d’un « Président élu », mais à la recherche de la « vérité des urnes ».
Depuis l’instauration de la démocratie en RDC, tout se passe comme si à chaque cycle électoral, la CENI s’organise à jouer au pyromane national, mettant à chaque fois le pays au bord de l’implosion.
Ne parlons pas ici de centaines des millions de dollars américains, que la centrale électorale congolaise exige tous les cinq, pour organiser un cycle électoral dont le vainqueur est souvent autre que celui que tout le monde croit.
Alors, peut-être le moment est-il arrivé pour les africains de se poser cette question du célèbre avocat Cicéron à l’accusé Catilina : « Quousque tandem abutere, CENI, patientia nostra » ? Jusqu’à quand, messieurs de la CENI, comptez-vous continuer à jouer avec le feu ?
De nombreux griefs sont portés à charge de la CENI : institution budgétivore, gestion trop politisée, mode d’accession à la présidence de l’institution assujetti au pouvoir politique, composition du Bureau tout aussi contestée. Des réformes profondes sont ainsi attendues pour dépouiller la CENI du vieil homme pour espérer la voir jouer pleinement son rôle.
Mais, puisqu’il n’est pas encore dans l’ordre du jour de se débarrasser de la CENI, que faire ?
De l’avis de tous, il faut des réformes profondes de la CENI et de la loi électorale. Le mode même de l’accession à la présidence de cette institution et de la désignation des membres de son bureau devront également connaitre un toilettage.
Cependant, par-delà l’institution en charge de l’organisation des élections, il faut fustiger le degré de perversion morale de la société congolaise. Un travail de fond en termes de changement de mentalités et de formation à la citoyenneté doit être envisagé.
Mais pour rendre les CENI efficientes, il faudra les amener à respecter les standards en matière d’élections démocratiques et transparentes, à défaut les sanctionner ; édicter des normes régionales en complément des normes internationales…
Cependant, les commissions électorales ne sont pas les seuls acteurs. Les partis politiques, parties prenantes ayant un grand rôle dans les élections, ne jouent pas toujours franc jeu, car davantage intéressés à gagner par tous les moyens possibles, y compris par des voies illicites. Il faudra trouver et mettre en place des moyens coercitifs pour les obliger à se conformer et respecter les normes.