Est-il possible pour les pays africains d’intégrer la gestion de leurs frontières à une stratégie de développement local ? La réponse est naturellement positive, même si dans les faits, des pesanteurs demeurent encore.
C’est la conférence de Berlin de 1885 qui a décidé du morcellement de l’Afrique. De celle-ci découlent les frontières actuelles des pays africains, héritées de la période coloniale impactée par un contexte de rivalités entre les pays européens et leurs brouilles pour des territoires en Afrique, qui sont jusqu’à ce jour source récurrente de conflits et de différends sur le continent.
Sur ce vaste continent, force est de constater que la plupart des frontières ont été mal définies, et ont eu pour conséquence de séparer des peuples frères, voire des familles. Des royaumes dont les territoires s’étendaient sur d’immenses territoires se retrouvent aujourd’hui éparpillés dans deux, trois ou quatre pays, et l’emplacement des ressources naturelles stratégiques (eau, zones minières, forêts) dans les zones transfrontalières devient source de défis supplémentaires.
Transcender les frontières et en faire des ponts pour le développement
Pour venir à bout de ce défi, il conviendrait de transcender les frontières comme des obstacles pour les ériger en véritables ponts reliant un État à un autre. Les pères fondateurs de l’Union africaines étaient ainsi convaincus de l’effort indispensable à faire pour intégrer le continent, renforcer son unité et promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité, à travers la prévention structurelle des conflits.
Très tôt, ce défi a hanté les dirigeants africains, inspirés par la conviction que la réalisation d’une plus grande unité et solidarité entre les Etats de l’Afrique et les peuples exige la réduction de la charge qui est imposée par les frontières.
De fait, les différentes organisations régionales et sous-régionales dans lesquelles les Etats africains se regroupent intègrent pour la plupart cette problématique. Cette dernière faisant depuis plusieurs années et au fil des Sommets de l’Union Africaine, une des questions majeures, en témoigne le projet de mise en place d’un passeport panafricain.
De la CEDEAO, à la CEEAC, en passant par le COMESA et la SADC, la question des migrations légales et du développement ont noirci des pages de documents, et la mise en place de la toute nouvelle Zone économique de libre échange continentale témoigne à n’en point douter du souhait des Africains de prendre à bras-le-corps ce problème.
Au niveau de l’Union Africaine, le Programme Frontières de l’Union Africaine (PFUA), a pour objectif « d’unir et intégrer l’Afrique à travers des frontières ouvertes, pacifiques et prospères ».
Des instruments juridiques pour guider les efforts
Raison pour laquelle les États membres ont adopté un certain nombre d’instruments politiques et juridiques pour guider leurs efforts dans la gestion des questions frontalières. Ceux-ci comprennent :
« La Résolution AHG/Res.16 (I) sur le différend frontalier entre Etats de l’Afrique, adoptée par la 1ère session ordinaire de l’Assemblée des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), tenue au Caire, en Egypte, en Juillet 1964 ;
L’article 4 (b) de la Loi sur constitutif de l’UA ;
La Résolution CM/Res.1069 (XLIV) sur la paix et la sécurité en Afrique à travers un règlement négocié des différends frontaliers, adoptée par la 44ème Session ordinaire du Conseil des Ministres de l’OUA, tenue à Addis-Abeba, en Juillet 1986 ;
Le Mémorandum d’accord sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique (CSSDCA), adoptée par l’Assemblée des Chefs d’Etat et de gouvernement, tenue à Durban, Afrique du Sud, en Juillet 2002 [décision CM/Dec.666 (LXXVI)], qui prévoit la délimitation et la démarcation des frontières africaines d’ici à 2012, où un tel exercice n’a pas encore eu lieu ;
Et la Décision de la 8ème session ordinaire des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine, tenue à Addis-Abeba en Janvier 2007, encourageant la Commission à poursuivre ses efforts vers la prévention structurelle des conflits, notamment à travers la mise en œuvre du PFUA. »
Faisant suite à cette décision, la Commission convoqua, à Addis-Abeba, le 7 Juin 2007, la première Conférence des ministres africains en charge des questions de frontières, qui adoptera une Déclaration sur le PFUA et de ses modalités de mise en œuvre, qui sera approuvée par le Conseil exécutif à Accra, au Ghana.
Le 25 mars 2010, la 2e Conférence des ministres de l’Union Africaine en charge des questions frontalières, réunie à Addis-Abeba, aboutira à l’adoption par les ministres de la Déclaration sur le PFUA et de ses modalités de mise en œuvre. Celle-ci a été approuvée par le Conseil exécutif à Kampala, en Ouganda le 23 Juillet 2010.
Notons que les organisations régionales et sous-régionales ont aussi pris des dispositions pour renforcer ces mesures de l’Union Africaine.
Ainsi, en septembre 2017, les Etats membres de la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC) ont convenu de renforcer la coopération régionale et interministérielle pour relever les défis de la gestion des migrations.
Pour ce faire, des hauts responsables de cette organisation régionale se rencontrèrent lors de la Conférence du Dialogue sur les Migrations pour l’Afrique Australe (MIDSA). Ils recommandèrent également la formulation d’un cadre politique régional sur les migrations.
Pas de développement isolé
On comprend aisément que la gestion concertée des frontières et des migrations a un impact réel sur les programmes de développement, qui ne peuvent plus se concevoir de manière isolée. La construction d’infrastructures routières et de voies de communication transrégionales et transcontinentales sont à insérer dans cette optique, de même que le développement des pools agricoles et des centres de recherche dans le domaine de la santé, comme le CDC pour ce qui est des maladies virales, etc.
En Europe, les regroupements des Etats qui ont abouti à la création de l’espace Schengen sont un exemple de la réussite de la gestion intégrée des frontières pour le développement des nations.
En Afrique, pour nombre de pays politiquement instables, une bonne gestion des frontières est essentielle au développement. Dans la région des Grands Lacs, les zones frontalières sont les plus soumises aux soubresauts de l’insécurité (RDC, Rwanda, Burundi et Ouganda), de même que les frontières de la Centrafrique avec le Cameroun, le Tchad et la RDC demeurent le ventre mou de cette partie de l’Afrique centrale, où aucun développement local durable et démocratique ne saurait être envisagé, en dehors d’une politique de gestion des frontières efficace.
S’inspirer des autres pour de meilleures perspectives
A cet effet, comme la roue a déjà été inventée, on pourrait se référer aux mesures imposées à la Turquie par l’Union européenne pour son adhésion à l’espace Schengen, et envisager les préalables suivants pour les pays africains :
- Maitriser la circulation de savoirs administratifs sur la gestion des frontières ;
- Procéder à des ajustements, tant normatifs que stratégiques, en considérant l’aspect contraignant de l’intégration des normes à l’arsenal législatif des Etats ;
- Inscrire les projets dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune ;
- Réformer les secteurs de la sécurité et de la transition démocratique ;
- Consolider la coopération avec les pays d’origine et de transit des migrants ;
- Mettre en œuvre des réformes législatives pour la reprise de l’acquis communautaire ;
- Mettre en place des programmes d’assistance intégrant des incitations liées au renforcement de la capacité institutionnelle de l’appareil administratif en créant une agence centrale de gestion des frontières, professionnalisation des agents de l’État (polices des frontières, armée, garde-côtes, gendarmerie, services d’immigration), etc.