Entretien avec Roger Massamba, President de la Commission Nationale de l’Ohada.

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Perspective Magazine. : Professeur, la RDC est membre de l’OHADA depuis deux ans. Pourriez-vous nous expliquer comment s’est fait l’adhésion de la RDC ?

Roger Massamba. :

Après une préparation de quelques années, notamment en 2004 et 2005, un rapport a été commandé par le gouvernement congolais  pour apprécier  les opportunités, les atouts et les contraintes liées à l’adhésion de la RDC à l’OHADA. En 2006, le gouvernement s’est prononcé pour l’adhésion à l’OHADA. Le président de la République a adressé à cet effet en 2008 une lettre d’intention aux instances de l’OHADA. La Cours suprême a déclaré le 5 février 2010 que l’adhésion est conforme à la constitution. En 2010, la RDC a commencé à participer aux réunions de l’OHADA en tant que membre observateur.  La Commission Nationale OHADA a été créée le 23 mars 2010 par un décret du Premier Ministre. Le ministre de la Justice nomme le 29 juin 2010 les membres du CNO. De manière très officielle, c’est le 11  juillet 2012 que la RDC a déposé les instruments d’adhésion à l’OHADA à Dakar au Sénégal (pays dépositaire du Traité) A cette date, la RDC devient membre effectif de l’OHADA. Le traité de l’OHADA, les normes, le règlement d’application et les Actes Uniformes  entrent en vigueur 60 jours après le dépôt des documents de ratification. Plus précisément, le 61 ème jour, pour le cas de la RDC, le 12 septembre 2012. C’est donc la date du début de la mise en  œuvre de l’OHADA en RDC. En mi-décembre 2009, le parlement congolais a adopté une loi qui autorise la RDC à adhérer à l’OHADA. Sur base de cette loi, le président de la République établit l’instrument d’adhésion. C’est le dépôt de cet instrument qui fait du pays un membre effectif de l’OHADA.

P.M. : Pourriez-vous nous définir très simplement l’OHADA ?

R.M. : 

L’OHADA est une organisation internationale reconnue comme telle et qui a la personnalité juridique. Sa dénomination est « Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires »  Son but est de promouvoir la sécurité juridique et judiciaire dans les pays africains en commençant par les Etats membres de l’espace OHADA. On cherche donc ici à améliorer le climat des affaires pour renforcer l’attractivité de nos pays. Pour y arriver, l’OHADA met en place des règles communes, simples et adaptées dans le domaine du droit des affaires. C’est cette harmonisation que l’on recherche et qui a abouti à une sorte d’uniformisation. On a d’abord eu le Traité, puis les Actes Uniformes qui sont des sortes de lois qui s’appliquent de la même manière dans tous les pays. Il y a des nuances que permettent ces actes qui disent que sur certaines questions, on se  réfère aux lois du pays. C’est ainsi que l’OHADA dans ses actes uniformes déterminent les infractions, il appartient aux Etats de définir et de fixer les sanctions (ce qui peut amener de petites différences entre pays) En dehors de ces exceptions, la plupart des règles de l’OHADA s’appliquent de la même manière dans les 17 pays membres (mêmes articles, mêmes textes) C’est une première mondiale. Il n’y a pas un exemple qui soit arrivé aussi loin. L’Union européenne souhaite aller vers ce genre de mécanisme. Beaucoup félicite l’Afrique pour la création de l’OHADA. Pour une fois, le continent donne une leçon au monde.

P.M. : Quel est l’intérêt de la RDC en adhérant  à l’OHADA ?

R.M. : 

Notre pays a connu quelques problèmes d’attractivité des investissements. Le rapport Doing Business de la Banque mondiale classe la RDC à la queue. Le droit des affaires était dépassée, obsolète parfois lacunaire. A titre d’exemple, nous n’avions pas de règle sur le bail commercial. Nous avions un cadre juridique et surtout judiciaire qui ne rassurait pas l’opérateur économique national  et étranger. Nous avons tenté nous-mêmes des réformes du code de commerce : ce fut un échec.

L’OHADA est donc une aubaine! C’est un package, un ensemble de normes, de textes sur le droit commercial général, le droit des procédures collectives (la faillite), le droit des procédures simplifiées de recouvrement des créances, les voies d’exécution, le droit des sociétés, le droit des suretés, le droit de l’arbitrage, le droit du contrat de transport des marchandises par route…Vous avez également un texte du traité qui organise  la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage qui a comme conséquence que quand il y a un litige au  premier degré, nos juridictions sont compétentes pour appliquer le droit OHADA devant les tribunaux de commerce, parfois de grande instance et  en appel devant la cour d’appel.  Après, c’est une juridiction supranationale et indépendante, la CCJA, qui est compétente pour les 17 Etats au niveau suprême. La Cour suprême n’a plus compétence en matière de droit des affaires. La CCJA a reçu les moyens nécessaires pour être efficace et crédible. Le justiciable qui pense gagner au premier degré puis au second degré par la corruption au niveau de la CCJA, il sera coincé. Un effet collatéral de l’OHADA est la lutte plus efficace et effective contre la corruption au plan judiciaire. On assiste donc à un renforcement de la sécurité judiciaire. Nos juridictions nationales vont également s’améliorer. En conclusion, nous avons aujourd’hui une sécurité juridique incontestable. Nous avons des textes clairs, modernes, adaptés et à la pointe du progrès. Nous avons aussi des efforts qui ont été faits en matière de sécurité judiciaire. Le manque de sécurité juridique et judiciaire est une cause de détérioration du climat des affaires et un blocage à l’attractivité économique. L’OHADA a une vocation africaine très affichée qui apparaît très clairement dans le préambule du Traité fondateur. De la même manière, la vocation africaine de la RDC apparaît très clairement dans ses différentes constitutions. En entrant à l’OHADA, la RDC accomplit un devoir qui relève de sa mission et de son ambition au sein de l’Union Africaine.

P.M. : La RDC est membre de l’OHADA depuis le 11 juillet 2012. En tant que président de la Commission Nationale l’OHADA, quel bilan faites-vous des deux premières années de la RDC ?

R.M. : 

Il ne se passe pas deux semaines sans que le CNO ne soit quelque part en train de faire de la formation. Il n’y a rien de plus avantageux dans un pays que la formation des cadres. C’est une sorte de mise  à niveau et de recherche d’une  performance des congolais à  la découverte d’un nouveau droit qui en réalité est une modernisation de ce que nous avons déjà commencé ici sur le plan juridique. La Commission nationale OHADA avec ses formateurs sillonne le pays. Nous avons fait plusieurs fois le tour de toutes les provinces, de tous les chefs-lieux. Nous avons été dans d’autres villes. Récemment, nous étions à Lodja, Tshikapa, Kalemie, MBanza-Roger Massamba, President de la Commission Nationale de l’OhadaNgungu …  Il y a un rythme fort dans la formation mais le point que nous devons renforcer demeure la restitution. Nous devons veiller à ce que les personnes que nous formons restituent et ainsi de suite… Nous avons formé des formateurs au niveau de l’Ecole régionale supérieure de la Magistrature de Porto-Novo. Des congolais en grand nombre y ont été et sont revenus au pays. Ils sillonnent le pays pour faire des formations sous notre encadrement. Nous avons formé récemment des défenseurs judiciaires, plus de mille avocats du barreau de la Gombe et autant du barreau de Matete. Le même exercice a été fait  Lubumbashi, ailleurs et nous continuons. La formation des magistrats se passe dans des conditions très satisfaisantes. Il faut également relever la formation des experts-comptables. Jamais en RDC, il n y a eu autant de formation des professionnels du droit et de la comptabilité y compris les greffiers, les notaires et les huissiers. Nous les formons. C’est le premier succès. En chiffre, tout ce monde formé, ce sont environ dix mille avocats, quatre mille magistrats, des milliers d’experts-comptables et d’autres opérateurs économiques qui savent qu’il y a une réforme et qui lisent pour s’imprégner de son contenu. La formation vise  l’amélioration de la qualité du juriste, de l’expert-comptable. Deux ans après, c’est un peu tôt pour faire un bilan mais nous pensons que nous nous améliorons.

P.M. : La RDC attendait beaucoup de son adhésion à l’OHADA pour gagner des places dans le classement Doing Business de la Banque Mondiale. Mais ça n’a pas été le cas qu’en dites-vous ?

R.M. : 

L’amélioration du climat des affaires, avec tout ce que l’OHADA représente comme réformes, nous avons noté que la RDC est aujourd’hui rangée parmi les dix pays les plus réformateurs au monde. L’adhésion à l’OHADA reste une des grandes réformes de la RDC. Cette adhésion a contribué à nous ranger parmi les pays les plus réformateurs au monde. Certes, notre place dans le classement Doing  Business n’a véritablement pas bougé mais il y a un élan qui est observé et reconnu. Cela signifie qu’il y aura des résultats. Ce n’est pas le premier jour où le souffle se manifeste que l’on voit le résultat. Il faudra attendre 2016 et surtout  2017 pour constater que quand on fait des réformes, il est possible de monter de place dans un palmarès. Pour l’instant nous subissons encore les ratés du passé. Le fait d’être parmi les meilleurs réformateurs signifie pour la RDC que son classement ne pourra que s’améliorer.

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