La lecture de l’histoire politique africaine contemporaine, nous enseigne que chaque leader politique qui accède à la tête d’un Etat possède son propre ADN qui sera le fil conducteur de sa gouvernance. Les alliances circonstancielles qu’il pourrait nouer pour une gouvernance participative et plurielle n’y changent généralement pas grand-chose. Car l’ADN est l’empreinte même du leadership qui s’exerce à un moment donné de l’histoire d’une nation. C’est la marque de fabrique du dirigeant et la caractéristique principale de sa gouvernance.
Un dirigeant politique peut composer ou coaliser avec d’autres forces, parfois plus puissantes sans qu’elles ne parviennent à occulter son ADN. Comme pour dire « chasser le naturel, il revient au galop ».
En politique, le jeu des alliances à travers des coalitions de raisons ou de convergence idéologique sont aussi vieilles que le monde. Toutefois, les alliances ne seront jamais assez imposantes pour compromettre l’ADN politique d’un leadership authentique qui serait au sommet de son art, c’est-à-dire : dans l’exercice effectif du pouvoir.
Justicier d’un Etat de droit
Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, en tant que personnalité politique majeure en République démocratique du Congo (RDC) ne déroge pas à cette règle. Cependant, il est utile de rappeler qu’il est issu d’une école d’opposition créée par les controverses idéologiques bien maîtrisées par son défunt père, Etienne Tshisekedi wa Mulumba. Mais au-delà de l’héritage paternel et idéologique de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social « UDPS », il est devenu, lui-même, à la force des circonstances, un leader à part entière, en voie d’imprimer son propre ADN politique.
En effet, les cinq années avant son accession à la magistrature suprême en RDC ont été marquées par les atermoiements autour de l’organisation des élections et les tergiversations de son propre parti politique l’UDPS qui, finalement, lui ont permis de forger son propre ADN politique et son mérite personnel comme leader politique à part entière.
Histoire d’ADN politique en RDC
On retiendra de ses prédécesseurs des empreintes qui ont marqué la vie du pays. L’allégeance à l’ancienne puissance coloniale a terni l’image de Joseph Kasavubu, qui livra Patrice Emery Lumumba à ses bourreaux, tandis que le deuxième, Joseph-Désiré Mobutu fera de l’unité du territoire et de la fierté du Zaïrois, attaché à l’authenticité négro-africaine et bantu, son ADN de créer en Afrique centrale un pays plus grand, plus beau, qui s’est illustré par l’organisation d’événements grandioses (Combat du siècle entre Mohamed Ali et George Foreman), la tournée des astronautes de la fusée Apollo au Zaïre, deux coupes de la CAN remportées par les Léopards,…
Laurent-Désiré Kabila, marqué par les années de maquis et l’idéologie communiste acquise au côté de Che Guevara et son passage en Tanzanie, laisse dans l’imaginaire populaire le souvenir du nationaliste attaché à la liberté de son pays et à l’émancipation du peuple. « Prenez-vous en charge et même politiquement aussi ! », répétait-il. L’idée de l’indépendance économique du pays le poussa à créer une nouvelle monnaie nationale, le Franc congolais, et il gouverna le pays sans dette extérieure, en se montrant un lutteur acharné contre les antivaleurs.
Joseph Kabila, son fils essaiera de poursuivre sa lutte contre l’impérialisme, mena le combat pour la réunification du pays, accepta le partage du pouvoir avec les ex-rebelles, qui aboutit à une gouvernance partagée (1+4).
L’ADN de Félix Tshisekedi se résume dans l’idée maitresse du slogan « l’Etat de droit », qui s’articule sur la gouvernance par le renforcement de l’Etat grâce à la justice. Déboulonner le système dictatorial de son prédécesseur, nommer de nouveaux hauts magistrats à la Cour constitutionnelle, à la cour de cassation, etc.
Comment imposer son ADN ?
Il lui a fallu pour cela agir avec une main de fer dans un gant de velours : organisation des consultations politiques pour aboutir à la mise sur pied de l’Union sacrée pour la Nation grâce à l’éviction des présidents des deux chambres du Parlement (Jeanine Mabunda et Alexis Thambwe Mwamba), acquis à la cause de son prédécesseur, ainsi que du Premier Ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba, qui aboutit à la formation d’un gouvernement plus « malléable ». Cet ADN il veut le forger aussi grâce à l’action de l’Inspection Générale des Finances, dans un Etat failli, gangrené par la corruption.
Pour montrer sa détermination, son propre directeur de cabinet et principal allié, Vital Kamerhe en fit les frais. Arrêté, Jugé et condamné pour détournement des deniers publics destinés à la réalisation de son programme des 100 jours à la tête du pays.
Mais imposer cet ADN de Justicier de l’Etat de droit ne sera certainement pas aisé, tant le temps ne joue pas en sa faveur. En effet dans moins de deux ans, il faudra rendre compte et passer la main pour un autre mandat. D’autant plus que plusieurs écueils se dressent sur son chemin : l’organisation des prochaines élections, avec une loi sur la Commission Electorale Nationale indépendante (CENI) controversée, et une menace de dislocation de son Union sacrée pour la nation, sur fond d’un projet de loi sur l’accès aux charges politiques majeures au Congo, dite Loi Tshiani.
Le justicier défenseur de l’Etat de droit sera aussi confronté à d’autres dossiers importants qui mettront à rude épreuve l’affirmation et la manifestation de son ADN : le Rapport Mapping de l’ONU sur les crimes commis en RDC.
En effet, la tension créée par la très forte réaction de Paul Kagame, président du Rwanda au fameux Mapping Report de l’ONU et à la campagne menée par le Prix Nobel de la Paix, le docteur Denis Mukwege en faveur de la création d’un tribunal international pour les crimes commis au Congo, ont mis à jour la faiblesse, ou l’impréparation du dirigeant sur ces deux questions. Et l’esquive de déclarer : « Ce qui m’importe, en tout cas, c’est l’avenir de notre relation. Être en paix avec nos voisins et développer avec eux des projets qui profitent à nos populations, multiplier les échanges entre nous. Le reste a peu d’intérêt, je ne suis pas une personne conflictuelle », démontre hélas l’écart entre la volonté exprimé par le slogan « Etat de droit » et l’importance de la justice comme outil de paix et de développement d’un pays. Peut-on développer un pays sans justice équitable ?
Car à l’image de ce qui s’est passé en Europe après la seconde guerre mondiale et même au Rwanda de Paul Kagame avec le Tribunal de Paix de Arusha en Tanzanie, des procès pénaux équitables et crédibles pour les crimes au Congo sont essentiels pour instaurer le respect de l’Etat de droit et une paix durable. En effet, la justice est cruciale car les victimes, leurs familles et leurs communautés ont le droit de savoir ce qui s’est passé et de voir les responsables tenus pour responsables. La justice pour les crimes commis au Congo renforcera l’Etat de droit et à accroître les chances de dissuader de nouveaux abus. L’affirmation de son ADN tient aussi de cela.